Le semi-flop de Sniper Alley

Le Groom de Sniper Alley (Spirou et Fantasio n°54) - Yoann & Vehlmann

 

L'élimination du dictateur de l'Aswana - qui fait écho à la chute de Saddam Hussein, de Kadhafi, des talibans d'Afghanistan ou de Ben Ali - donne le prétexte au déclenchement de l'intrigue de ce 54e opus de Spirou et Fantasio, le 4e de Yoann & Vehlmann (si l'on excepte Les Géants pétrifiés, par lesquels ils inaugurèrent la série parallèle d'Une aventure de Spirou et Fantasio par...)

 

En mourant, ce dictateur de l'Aswana - qui n'a eu que 7 cases d'existence - libère les espoirs entravés d'un mafieux dénommé don Contralto de mettre la patte sur un trésor inestimable, qu'il a localisé du fond de sa geôle, et qu'il sait se trouver précisément dans ce pays fraîchement libéré par les troupes occidentales, et donc désormais accessible.


Pas près de sortir de son pénitencier, il contacte son neveu (le respect craintif qu'il inspire lui vaut de pouvoir transgresser ouvertement certains interdits, comme celui de disposer d'un téléphone portable), lequel neveu se révèle vite être Vito Cortizone, le mafieux frappé de guigne et englué de scoumoune apparu pour la 1re fois dans Spirou à New York, le n°39, déjà, par la plume et l'esprit de Tome & Janry.

Contralto charge Cortizone de trouver des hommes de main fiables pour se mettre en quête du trésor disparu d'Alexandrie, et c'est tout naturellement qu'il se tourne vers Spirou et Fantasio, que le sort avait déjà désignés par le passé comme bénéficiaires de la baraka après laquelle il consacre sa vie à courir. Par un chantage dont la victime serait Seccotine si les deux aventuriers refusaient de collaborer, l'éternel guignard parvient à les convaincre.


L'idée scénaristique de départ est plutôt solide, mais sa mise en oeuvre n'est pas loin de faire "pschhhht". On reconnaît la volonté de Yoann & Vehlmann d'emprunter à leurs prédécesseurs Franquin, Fournier, Tome & Janry, les ingrédients qui ont fait le succès des aventures de Spirou : la géopolitique, l'excursion périlleuse au prix du chantage, les méandres de la zone de recherches... Mais cet effort s'orchestre avec un peu de lourdeur, et le déroulement combiné du scénario et du dessin risque de souffrir d'un certain manque de profondeur. L'intrigue, qui a de quoi donner du biscuit au départ, manque d'autant plus d'intensité qu'elle se révèle fréquemment prévisible.

Les événements s'enchaînent trop vite, et passent sur la mémoire sans trouver de point d'accroche, mais ce manque de fluidité n'est pas exceptionnel dans la BD contemporaine. La recherche du trésor dans un labyrinthe pensé pour laisser une marque dans la série semble téléphonée et manque de densité, ce qui laisse passer l'occasion de rattraper en fin d'album le marché un peu bâclé que Cortizone a conclu avec Spirou au début : il faut dire qu'il ne reçoit guère de résistance et que nos héros se laissent entraîner un peu facilement. Ciao Vito, qu'on ne reverra que de façon fugace à la fin, et qui n'est manifestement qu'un personnage accessoire, vidé de surcroît de ses caractéristiques : les chouinements, supplications, simagrées, jurons, locutions italiennes, etc., qui ont fait sa renommée, sont comme évacués. Or le personnage de Cortizone s'accommode très mal de ce genre d'opération d'évidement.


L'épisode qui vaut son titre à l'album en constitue probablement le pic humoristique. L'excellente idée de cette avenue investie par les snipers et dont seul Spirou peut sortir vivant, aidé par le ressuscité Poppy Bronco, ne justifie peut-être pas d'y fonder le titre de l'opus, tant elle est expédiée.



Nouvelle illusion, ce titre se justifie parce qu'il claque mais tient assez mal ses promesses. Il manque une intrigue secondaire à cette histoire qui se découd.



On évoquera en passant les quelques bévues graphiques qui révèlent peut-être un certain empressement à boucler cet album :

- problème de raccord : page 5, le tableau derrière Spirou est remplacé par une bibliothèque haute dans la case suivante ;

- en plus d'être parfois méconnaissable, le personnage de Cortizone semble souffrir de variations de proportions et de problèmes de perspectives ;

- on peut regretter une forme de désinvolture dans le traitement des textures (roches...) et des ombres.

 

S'y ajoute une faute de goût page 23, où les auteurs illustrent les ravages de la guerre par le dessin d'un gamin estropié qui marque un but de foot grâce au pied qu'il tient dans sa main... Et le personnage de Bronco, que Yoann & Vehlmann avaient créé (et tué) dans La face cachée du Z (n°52) apparaîtra lourdement vulgaire aux yeux de certains initiés.

 

Les auteurs ont cherché à faire apparaître de nombreux personnages anciens de la série, en remontant parfois loin dans les albums de leurs prédécesseurs. Curieusement, Seccotine est visuellement absente de cette petite réunion des anciens de la promo alors même qu'elle est au coeur du chantage exercé par Cortizone. L'intention est en tout cas louable, de convoquer toutes ces têtes familières.

Ce n'est pas un cadeau, de la part d'un éditeur comme Dupuis, de confier la succession de Tome & Janry, lesquels étaient déjà des légataires. Il faut du courage et de l'abnégation pour accepter cette mission très ardue, et la critique est fatalement exigeante. Aucun continuateur ne saurait satisfaire tous les nostalgiques et les amateurs d'une série. Yoann & Vehlmann ont le mérite d'acquérir un public, auprès duquel leurs aventures de Spirou font mouche. Ils auront aussi la tâche délicate de réintroduire le Marsupilami dans la série, grâce au rachat de Marsu Productions par Dupuis, après 40 ans d'impossibilité d'exploitation de son dessin en dehors  de la série dérivée qui lui est consacrée. La fin de cet album annonce le retour du Marsupilami dans le n°55, confirmé par Vehlmann.


Le Groom de Sniper Alley

Les aventures de Spirou et Fantasio n°54

Dessin : Yoann

Scénario : Vehlmann

1re publication : novembre 2014

Editeur : Dupuis



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