Une belle tête de minus

Minus - Rica


On ne sait même pas comment il s'appelle ; à moins que Minus ne soit son vrai nom, plutôt qu'un surnom : une fois en effet, on voit son père l'appeler ainsi dans un court flashback, écho au titre de l'album, qui nous dépose au terminus de l'optimisme et de l'insouciante frivolité, là où commence le pessimisme poisseux qui nous enveloppe de ses brumes bilieuses

 BD pour adultes


Billet interdit aux purs, aux innocents, aux inoffensifs.


Ici, le professeur Ragondin ne parle pas aux enfants.


Compris?


BD pour adultes



Rica nous emmène visiter les sinistres catacombes de l'âme humaine ; disons, à la rigueur, pour n'offusquer personne : de l'âme d'un humain, un spécimen mâle du monde occidental et urbain contemporain. Minus, puisqu'on ne peut l'appeler qu'ainsi, Minus est un gars tranquillement trentenaire, qui n'est doté d'aucune conscience professionnelle et qui s'ennuie fermement au boulot. Il déroule sa vie de manière délibérément et pathologiquement solitaire, réduisant à néant toute possibilité de relation amoureuse. Il préfère de loin l'onanisme aux sentiments, un onanisme effréné qui ne semble pas rehausser l'estime qu'il a pour lui-même

Pas moche, il plaît ou peut plaire aux femmes ; d'aspect plutôt avenant, il est de bonne compagnie pour ses collègues. Mais il ruine tout son potentiel par un refus d'empathie et par un rejet intérieur de la proximité amicale et sentimentale qui confinent à la sociopathie Néanmoins, il joue un peu le jeu, il huile les apparences, il lubrifie les relations sociales comme il dit, mais il ne peut faire durablement illusion. Indolent, nihiliste rigolard, Minus fait figure de sale type si le masque tombe.

Il ne peut cacher, par exemple, qu'il ignore le prénom d'un collègue avec lequel il partage des soirées et des pseudo-confidences depuis deux ans ; il en humilie une autre qui lui fait du gringue ; il violente une secrétaire dans un accès de frénésie sexuelle. Ses pensées dénigrent systématiquement ces individus qu'il côtoie. Quant aux autres, ils ne sont qu'entités méprisables, uniquement évaluables sur une échelle de plaisir sexuel s'ils se trouvent être de sexe féminin.


Minus ne pense qu'à ça ; à ses masturbations répétées s'ajoute son obsession pour les poupées sexuelles, qu'il fait importer et livrer au nom de son voisin quand celui-ci est absent. Ces poupées, on ne sait si elles le fascinent ou si elles sont pour lui l'exutoire à la détestation qu'il couve pour lui-même : il se déchaîne sur elles, les maltraite, les humilie, les lacère à coups de parties sexuelles frénétiques, avant de les remiser dans la pièce mystérieuse au fond du couloir.

Minus est à la fois rebutant et attachant. Ses errances brindezingues, masturbatoires et misanthropes, ont de quoi donner la nausée. Personnage houellebecquien, il est de ces individus réduits à l'état de particules élémentaires, livrés à la compétition de tous contre tous, au libéralisme économique qui étend sa loi de l'individualisme et de la lutte égoïste au domaine érotique. Son cynisme désabusé le rapproche des bonshommes pathétiques que décrit Michel Houellebecq ; ses vagabondages renvoient au périple monstrueusement morbide du Jérôme Bauche de Jean-Pierre Martinet (Jérôme, paru en 1978), dans ce roman méconnu, délirant, d'une violence infernale et géniale.


Dans cet album, Rica translate ces univers noirs du roman vers la BD. C'est une réussite totale, une merveille graphique en noir et blanc (seule la couverture est en couleurs), aux traits ronds et sombres, qui ne laissent aucune chance aux gueules des personnages, lesquels se déforment jusqu'à la limite de la caricature et du grotesque, trognes usées, avachies, grimaçantes, aux regards tantôt fulgurants tantôt vidés de toute substance. Le sordide de ce dessin quasi réaliste laisse au coeur comme une sensation de crampe. Il pourrait y avoir comme un doute, une terreur embryonnaire, un refus de trouver dans ce dessin quelque chose d'un miroir civilisationnel ou individuel. Minus est à la marge. Peut-être? Mais à la marge de quoi?


Minus

Dessin et scénario : Rica

1re publicarion : 2012

Editeur :  Glénat

Collection : Drugstore



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Commentaires: 1
  • #1

    K (mercredi, 13 mai 2015 15:06)

    En pleine période BD on dirait ;)