Foster en Armstrong sociopathe

The Program - Stephen Frears


Stephen Frears  a voulu, le premier, réaliser un film sur la déchéance de Lance Armstrong. Véritable héros, le champion cycliste a dégringolé lorsque son système de tricherie a été, enfin, prouvé, établi, décortiqué, par l'agence anti-dopage américaine, après plus de dix ans de suspicions inabouties. De 1999 à 2005, Armstrong a inlassablement remporté le Tour de France, établissant le plus gros record de l'histoire de l'épreuve et s'imposant comme l'un des plus grands champions (et pour certains, le plus grand) de l'histoire cycliste. Il a surtout réalisé cette performance septennale après avoir combattu et vaincu un cancer dans la première partie de sa carrière sportive. Cet élément capital est au fondement de l'immense popularité qu'Armstrong a acquise auprès du public américain et plus largement dans le monde entier. Les images du jeune champion, amaigri, au crâne chauve et recousu, terrassant la maladie pour revenir dominer toute l'élite de son sport, a forgé l'image éblouissante du guerrier au mental d'acier. Ce caractère a poussé des centaines de malades à croire en leur guérison et à pencher du côté de l'optimisme.

Mais passé l'enthousiasme unanime suscité par sa victoire dans le Tour 1999, un doute s'est insinué dans un clan de sceptiques chaque année plus grand, un doute alimenté et encouragé par des tentatives d'enquêtes, des révélations étranges, des découvertes suspectes. En quelques années, Armstrong est devenu l'un des personnages l'un plus clivants de l'histoire sportive : adoré des uns, haï des autres. Mais jamais une preuve ne venait donner fermement raison au clan des sceptiques, auxquels il adressa un discours inflexible le soir de sa 7e et dernière victoire dans le Tour, en 2005, au moment de prendre sa (1re) retraite sportive, au sommet de sa domination.

Ce discours aux sceptiques de 2005 s'est vite révélé puissamment cynique à la lumière des révélations qui ont ébranlé l'empire d'Armstrong quelques jours après seulement : des test pratiqués à titre statistique sur les échantillons qu'on avait préservés depuis le Tour 1999 révélaient que le Texan s'y était dopé à l'EPO. Toutefois, ces tests n'avaient aucune valeur juridique, et auraient d'ailleurs dû rester anonymes : seulement dévoilés par un journaliste et non officialisés par une instance, ces tests étaient comme un mirage, et la preuve imparable est restée inexistante. Et après 3 ans d'ennui, Armstrong s'est permis l'audace de faire son come-back dans le cyclisme. Cette fois, il n'a pas gagné, mais il était toujours, officiellement, propre et hors de soupçon. Jusqu'à l'effondrement total de son abnégation à réfuter les accusations. L'enquête acharnée du Français Pierre Ballester et de l'Irlandais David Walsh, pendant des années, a fini par convaincre l'agence anti-dopage américaine de prendre le relais et d'étayer le dossier, recueillant pléthore de témoignages propres à démanteler tout le système. Acculé, rendu incapable de continuer à nier par la dimension du dossier établi contre lui, Armstrong a fini par avouer. Et pour la première fois de l'histoire du cyclisme, un champion a été déchu de l'intégralité de son palmarès sans avoir subi, officiellement, aucun contrôle antidopage positif.

C'est ce système de mensonges et de dopage très organisé que le film de Frears entend dévoiler. Menteur, tricheur, mafieux, escroc, violent, harceleur, machiavélique, lâcheur : c'est un presque sociopathe qui est décrit dans The Program. Dans la peau d'Armstrong, Ben Foster réalise une vraie performance, si ce n'est qu'il ne rend pas encore tout à fait l'aspect très charismatique et plus glacial encore que l'homme qu'il incarne. The Program instruit correctement sur ce qu'a été le cyclisme d'Armstrong. Néanmoins il souffre d'omissions aussi délibérées que coupables, de sa compilation documentaire et de son manque de profondeur.


En effet, le film fait l'impasse totale sur les révélations de 2005 par le journal français L'Equipe concernant le dopage d'Armstrong sur le Tour 1999 (révélations juridiquement irrecevables), et surtout sur la partie française de l'enquête qui a conduit à la déchéance du cycliste : exit Pierre Ballester, dont l'existence n'est jamais mentionnée! David Walsh fait figure de loutre solitaire dans un panier de crabes, enquêtant seul malgré la quasi-réprobation de ses confrères pendant des années jusqu'à faire plier Armstrong. Cette distorsion de la vérité historique jette le doute, par conséquent, sur l'honnêteté de la démarche.


Par ailleurs, à vouloir tout montrer de 1993 à 2012, le film devient une addition d'images et d'explications rapides. Très bien pour un documentaire, mais médiocre pour un film. Incontestablement, le scénario est très bien documenté, nourri au rapport de l'USADA ( l'agence anti-dopage américaine), mais le film tourne au reportage. Et si Ben Foster a indubitablement travaillé son rôle jusqu'à sa position sur le vélo, le film juxtapose des scènes jouées et des images d'archives, mal conservées, pour un résultat disgracieux. Conséquence de cette volonté d'exhaustivité d'images, le film n'a pas le temps de développer les personnages, qui ne prennent jamais de profondeur. Des ellipses de trois ans surviennent en quelques secondes sans que le profane ne puisse vraiment s'en apercevoir. Si bien qu'en définitive, The Program est un documentaire très instruit mais un film très médiocre.

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Commentaires: 2
  • #1

    Vanessa (lundi, 21 septembre 2015 23:10)

    Et pourtant quel "sujet d'étude" que ce Lance Amstrong. De ce que je peux cerner de l'extérieur se pencher sur la psychologie de cet homme, ses motivations, ses capacités "schizophréniques" à nier son imposture tout en menant en parallèle une sorte de "mafia du guidon".... Bref il est le sujet d'étude rêvé de tout psychologue qui se respecte ;)

  • #2

    Professeur Ragondin (lundi, 21 septembre 2015 23:24)

    En effet, il s'agit d'un personnage objectivement fascinant. Bien sûr, il n'est pas le seul responsable d'un système qui existait déjà et existe peut-être encore, mais son caractère, ses mensonges et sa personnalité dominatrice ont marqué son époque. Le problème, c'est que sa capacité à mentir avec aplomb pendant des années et à harceler les détenteurs de la vérité ont plombé a posteriori le rôle positif qu'il pouvait jouer auprès des malades : peut-on mentir aussi effrontément sur ses actions sans mentir sur la sincérité de son empathie? Et à quel point ses aveux relèvent-ils d'une démarche sincère? N'y a-t-il pas encore une stratégie guidée par une forme d'égoïsme? Drôle de personnage. Mais le parallèle avec la politique n'est pas difficile à établir : combien de personnalités politiques ont été convaincues de mensonge effronté?