Mais non, l'accent circonflexe n'est pas supprimé...

Halte à l'affolement général! Toucher à l'orthographe française suscite toujours des levées de boucliers et des réactions passionnées, à la limite parfois de l'hystérie. C'est un sujet de crispation typiquement français, car sur cette question, la tendance est globalement au conservatisme - sans jugement de valeur. En effet il y a dans l'esprit collectif un attachement affectif à la langue, à ses particularités retorses qui, pour beaucoup, font son charme, à ses exceptions et à ses vestiges étymologiques.

Quand il s'agit de réviser les règles, ou de permettre ce qui était jusqu'alors considéré comme fautif, les puristes donnent de la voix. Mais parfois, l'emballement va jusqu'à l'irrationnel. On le voit encore avec cette prétendue réforme de l'orthographe. On nous supprimerait l'accent circonflexe, fleuron de la langue française. Et on nous barbariserait les nénuphars, qui deviendraient de vulgaires nénufars. Sauf que....

On a vu et entendu de tout, et surtout de n'importe quoi. Avant d'être pour ou contre, il conviendrait de savoir de quoi on parle, et de faire une petite mise au point!

Ce n'est pas une réforme

Dédramatisons d'entrée : le bruit de la réforme s'est propagé comme une traînée de poudre, mais ce n'en est pas une. Le mot de "réforme" est facile et pratique, mais en l'occurrence, il est un peu abusif. Il s'agit de préconisations et de recommandations, et dans certains cas, de rectifications. De toute façon, l'orthographe ne se réforme pas : c'est l'usage qui entraîne la règle et non pas l'inverse.

Des préconisations à la marge

Il ne s'agit pas d'un ensemble de nouvelles règles d'écriture auxquelles il conviendrait de se conformer dorénavant, et qui enverraient les anciennes à la benne aux erreurs. Du reste, ces préconisations ne touchent que quelques points de la langue.

"L'ancienne" graphie reste bonne (bien sûr)

Dire qu'on ne pourra plus coiffer nos voyelles de leur élégant accent circonflexe est mensonger, d'autant plus que cette affaire d'accent circonflexe ne concerne pas toutes les voyelles ni tous les mots. Bien sûr qu'on pourra! De même que pour les autres préconisations, il s'agit de faire coexister deux écritures possibles dans les cas touchés par le texte officiel.

Ce n'est que de l'orthographe lexicale

Hormis quelques petites choses relatives à l'accord du participe passé, ces rectifications et recommandations ne concernent que de l'orthographe lexicale et non pas l'orthographe grammaticale. Or le gros, l'immense, l'énorme problème de l'orthographe française, de l'école élémentaire jusqu'aux universités, c'est bien l'orthographe grammaticale, c'est-à-dire l'ensemble des règles d'accords des mots en genre et en nombre en fonction de leur rôle dans la phrase, et les terminaisons verbales. Ces règles sont très mal maîtrisées, et c'est bien la compréhension de la langue qui est en jeu. Quant à l'orthographe lexicale, c'est presque anecdotique.

Non, ça ne vient pas de sortir

Retard à l'allumage : arrêtez de vous acharner sur la ministre de l'éducation nationale, ce document officiel date de 1990. Un certain nombre d'enseignants connaissaient déjà ce qu'on appelle l'orthographe modernisée de 1990. Mais ce qui est vrai aussi, c'est qu'un très grand nombre ne la connaissaient pas, ou l'avaient oubliée, ou la connaissaient mal, ou ne l'appliquaient pas.

Et puis il y avait aussi les tolérances orthographiques de 1976, et ça, personne ne s'en souvient.

"On peut l'appliquer en écrivant toujours pareil"

Puisque les deux graphies, l'ancienne et la nouvelle, coexistent, les deux sont bonnes. Rien ne vous empêche de continuer à écrire comme avant. Alors, quelle différence? Il s'agit d'arrêter de considérer comme fautifs un certain nombre de cas qu'on blâmait jusqu'alors. Les enseignants sont supposés ne pas sanctionner cette nouvelle orthographe (depuis 1990), et donc accepter la nouvelle autant que l'ancienne : on ne leur demande pas de renoncer eux-mêmes à leur orthographe.

L'accent circonflexe n'est pas supprimé

C'est un sacré raccourci que de parler de suppression de l'accent circonflexe! En aucun cas il ne sera possible de le retirer des e (où il permet de faire le son ouvert comme è), des a ou des o (où il permet encore, selon les régions, d'établir une différence ou une nuance de prononciation, comme dans pâte, crâne, dôme,...). Impossible aussi de le retirer des désinences verbales (qu'il achetât, nous fûmes,...).

Consultez le billet détaillé du professeur Ragondin du 6 janvier 2014 sur l'accent circonflexe et les rectifications de 1990 qui le concernent.

Impossible également de le retirer du i et du u lorsqu'il permet de distinguer deux homographes (par exemple : sûr/sur, mûr/mur, jeûne/jeune, etc.). Donc, on peut l'enlever (sans y être obligé) des i et des u, quand il n'a aucune autre fonction.


Et pourtant, c'est un nénufar...

On peut désapprouver les simplifications, il n'en reste pas moins que pour un certain nombre d'entre elles, les préconisations de 1990 n'ont quand même pas été édictées au hasard, et visent à corriger des anomalies. Il n'y a aucune atteinte à l'histoire de la langue lorsqu'on écrit "nénufar" plutôt que "nénuphar", car c'est bien ainsi qu'on l'a écrit pendant des siècles jusqu'à ce qu'une graphie un peu pédante, parce que rappelant le grec avec son ph, prenne le dessus.

Il y a toujours eu des modifications

Et il y en aura d'autres. Certaines perdurent et d'autres sombrent. Les modifications ne cherchent pas à appauvrir la langue (théorie du complot), ni à embêter le monde ou à offenser les puristes : elles visent à s'aligner sur l'évolution de l'usage, à faciliter la vie des scripteurs, et à corriger des anomalies roublardes.

L'usage fait la règle, et non l'inverse

On ne force pas les gens à écrire d'une nouvelle façon. C'est plutôt l'inverse : l'évolution naturelle de la langue en modifie les règles. La règle, c'est en quelque sorte l'observation de l'usage dominant. Si l'accent circonflexe persiste sur les u et les i non verbaux pendant des décennies malgré les préconisations de 1990, cette modification deviendra caduque et sera oubliée.

On contrevient déjà aux règles

La langue est en mouvement perpétuel. Ce qui était fautif autrefois devient bon, et réciproquement: l'usage dominant finit par prendre le dessus, même quand il est fautif à un instant T de la langue. Aujourd'hui, plusieurs règles grammaticales sont bafouées par le plus grand nombre, si bien que ces erreurs deviendront peut-être un jour la nouvelle règle. Par exemple, diriez-vous plutôt :

Nous sommes partis après qu'il ait plu.

ou

Nous sommes partis après qu'il a plu.

C'est bien la deuxième phrase qui est juste au regard de la règle, car "après que" entraîne obligatoirement l'emploi de l'indicatif, et non pas du subjonctif. Or pour beaucoup, cet emploi est choquant. Pourtant il est le seul possible. Mais pour combien de temps?

L'orthographe est (très) en retard sur la prononciation

On l'aime, cette langue compliquée, toute pleine d'exceptions, d'anomalies et de pièges. Il y a tant de façons d'écrire le son [o], les lettres ne se prononcent pas de la même façon selon leur position, etc. Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Pendant un certain temps, le français s'est écrit comme on le prononçait, sans règles fixes. Mais il ne se prononçait pas partout de la même manière, et la prononciation évoluait au fil des décennies. De nouveaux sons sont même apparus. Il a donc fallu s'adapter au fur et à mesure, inventer de nouvelles lettres, des combinaisons, etc. Puis on a voulu instaurer des règles pour normaliser l'usage, afin qu'on écrive partout de la même façon. Mais ces règles se sont fondées sur l'usage et la prononciation de l'époque. Et cet usage a bougé, alors que les règles d'orthographe lexicale sont restées figées. Quand les autres langues latines ont adapté beaucoup plus facilement leurs règles à l'évolution de l'usage, le français a très mal accepté de moderniser son orthographe lexicale. La prononciation a donc toujours beaucoup d'avance sur l'orthographe, pour ne pas dire que l'orthographe est toujours en retard sur la prononciation. Nos règles actuelles sont une trace du français des siècles passés, ce qui ne manque pas de charme. Mais c'est aussi très complexe.

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