Le corps partagé de Lubin Maréchal

Ces jours qui disparaissent - Timothé Le Boucher

 

L'album a été sélectionné pour le Fauve d'or au festival d'Angoulême 2017 et a été encensé un peu partout. Il est question d'une prochaine adaptation au cinéma. Cela faisait des mois que je me promettais d'enfin le découvrir. La couverture me plaisait, mais le graphisme de la BD n'est pas celui que j'aime en temps ordinaire. Et pourtant...

On pourrait penser que le dessin est un peu dépouillé, qu'il manque d'éclat. En fait, peu importe : l'histoire, la narration, le découpage, emportent tout, à tel point qu'à la fin, même les plus réfractaires au style graphique de Timothé Le Boucher n'imagineront plus un autre trait, un autre dessin, pour cette histoire. Ces jours qui disparaissent est un coup de poing à l'estomac, la BD qu'il faut avoir, celle qu'il faut offrir, même et surtout à ceux qui ne lisent pas de BD.

Le thème des troubles de l'identité n'est pas une nouveauté, le cinéma et la télévision l'exploitent déjà avec un certain succès, avec Split par exemple, ou la série Tara dans tous ses états (Unites States of Tara)  avec l'excellente Toni Collette dans le rôle principal. Timothé Le Boucher s'empare du sujet mais avec poésie, en l'augmentant d'un questionnement sur le temps qui passe, notre finitude, notre conscience, et sans avoir à y mettre du sang, du crime ou de la psychopathie.

 

Un matin, Lubin Maréchal, jeune acrobate aimé de ses amis, se réveille sans le moindre souvenir d'avoir vécu la journée de la veille. Peu à peu il s'aperçoit qu'il cohabite avec une autre personnalité : son corps est partagé un jour sur deux, sans qu'aucune des deux entités n'ait la moindre conscience de ce que l'autre vit. Au fil des mois s'instaure entre elles une communication, par post-it ou vidéos interposées, avec l'angoisse pour Lubin de se voir dépossédé de son corps et de son esprit, d'autant plus que leurs personnalités respectives semblent tout à fait différentes, et pour ainsi dire contradictoires. Et si l'autre parvenait à prendre le pouvoir des jours et du temps qui passe? Et si Lubin n'arrivait plus à se réveiller dans son propre corps?

On sort de la BD un peu groggy. J'en ai d'ailleurs mal dormi.

 

Mais on a aussi envie d'être le meilleur ami de Lubin, le personnage, voire celui de son créateur (de son avatar?) Timothé Le Boucher, pas encore 30 ans, qui nous livre une fable, une histoire semi-fantastique dont les processus narratifs sont impeccablement maîtrisés, ce qui n'était pas gagné compte tenu des ellipses nécessaires et de la complexité à manipuler les deux identités. Il faut ajouter à cela de jeunes personnages de leur temps, qu'on aime aimer, de profils et d'horizons différents, dont le genre, dont l'identité et l'orientation sexuelles ne sont pas strictement uniformisés, et c'est rafraîchissant.


 

 

Ces jours qui disparaissent

Auteur : Timothé Le Boucher

Editeur : Glénat BD

Parution : septembre 2017