Ils ont goûté le Houellebecq nouveau

Les 320 000 exemplaires annoncés du premier tirage ont toutes les chances d'être écoulés très rapidement. Le battage médiatique qui entoure la parution du septième roman de Michel Houellebecq, Sérotonine, a obligé plusieurs maisons d'édition à différer la publication de leurs auteurs vedettes, tant ils risquaient d'être totalement éclipsés.

 

Flammarion avait mis un embargo en demandant à la presse de ne rien dévoiler du livre avant le 27 décembre (une semaine avant la sortie officielle du 4 janvier) - embargo rompu par deux journaux. Les avis des experts ont donc fusé avant la date butoir. Des journaux de droite à ceux de gauche, on semble plutôt d'accord : c'est un très bon, voire plus.

"Attention chef-d'oeuvre"

Pour Pierre Vavasseur du Parisien, Sérotonine est le meilleur roman de Houellebecq, et probablement un chef-d'oeuvre littéraire. Dans son billet Attention chef-d'oeuvre, il décrit ce roman du "plus extralucide de nos écrivains" comme "une bombe.  En bonus, l’écriture, qu’on a pu juger parfois paresseuse, reprend ici les plus vives couleurs. L’année 2018 s’était ouverte par un chef-d’œuvre, Le lambeau, de Philippe Lançon. 2019 connaîtra le même heureux sort avec un roman d’amour, car c’en est un à rebours, et une radiographie de notre actualité."

Dans son billet Michel Houellebecq, l'ultra-lucide, il promet au secteur éditorial un regain grâce à ce roman qui s'annonce "comme l’hormone du bonheur de l’édition française, laquelle a encore tiré la langue ces derniers mois"

"Une atmosphère d'ironie grinçante"

Dans un entretien avec Atlantico, l'historien et universitaire Edouard Husson comprend "que le romancier a anticipé sur le degré de violence des forces de l'ordre quand elles interviennent contre un mouvement qui exprime la révolte de la France des terroirs". Il ajoute notamment que "Houellebecq redonne la priorité à la question du mal que l'homme fait à son semblable. Face à la fin de la métaphysique et au refus de la transcendance, Houellebecq laisse monter dans son oeuvre un peu d'optimisme, furtif. Il établit au moins chez certains de ses personnages la possibilité de retrouver le sens de la société, c'est-à-dire, comme il le dit profondément, de survivre en échappant à la compétition entre individus."



Sérotonine : les petits bâclages de Houellebecq

Il a bénéficié d'un premier tirage de 320 000 exemplaires et repart à l'impression pour 90 000 exemplaires. Sérotonine fait fureur! Le septième roman de Michel Houellebecq est l'événement littéraire de ce début 2019, avec son narrateur au bout du rouleau qui ne tient plus que grâce à sa dose de Captorix (une nouvelle formule d'antidépresseur), ses agriculteurs au bord du gouffre, sa France rurale abandonnée par le gouvernement... et avec ses petites boulettes. Les éditions Flammarion ont en effet négligé quelques corrections. Pour clairvoyant et poignant qu'il soit, ce beau roman comporte une série d'erreurs et de contradictions légèrement contrariantes... Lire la suite.


"Du Houellebecq puissance 10 000"

Pour Nelly Kaprièlian des Inrocks, qui suivent patiemment Houellebecq depuis ses débuts et avant même que sa célébrité s'exporte à travers les pays, Sérotonine est "du Michel Houellebecq puissance dix mille" : "Quatre ans après le polémique Soumission, Michel Houellebecq renoue avec sa veine romantique et sombre pour relancer son narrateur dans une partie qui l’oppose aux maux du monde, plus particulièrement l’ultralibéralisme qu’il a toujours fustigé."

"Plus drôle et désespéré que jamais"

Au Canada, Chantal Guy explique dans Du Houellebecq pur jus, pour La Presse, que "Sérotonine suinte la détresse, l'ennui et la tristesse infinie par tous les pores de son narrateur qui nous gâte malgré tout en saillies très drolatiques et violentes, c'est du Houellebecq pur jus, provocateur presque sur commande, à un point tel qu'on a même l'impression par moments qu'il écrit un pastiche de ses propres romans (plus particulièrement Extension du domaine de la lutte), car il n'y a rien de nouveau sous le soleil noir de Houellebecq, le rouleau compresseur du néolibéralisme continue sa progression, sans pitié et sans surprise, en écrasant tout sur son passage - l'amour en premier."

"D'une noirceur sans fond"

Dans le Dauphiné, avec Sexe, politique et dépression,  Nathalie Chifflet nous donne ses raisons de lire Sérotonine : c'est "le roman faussement sexuel d'un quadra pitoyable, souffrant d'un grand dépit amoureux, et de moins en moins capable de sympathie. Comme toujours chez Houellebecq, les niveaux de lecture sont complexes, avec couches et sous-couches. (...) A cette conscience, s'ajoute un sens critique aigu. Et une capacité à la fiction politique d'anticipation bluffante. L'analyse des rapports économiques de Michel Houellebecq est fine et incisive, et d'une grande actualité."

 


Dessin : Pr Ragondin
Dessin : Pr Ragondin

"Follement houellebecquien"

En Belgique, selon Guy Duplat, "Sérotonine, le nouveau et mélancolique roman de Michel Houellebecq, est dans la droite ligne de toute son oeuvre. Mais en plus épuré, plus désespéré encore, et en même temps, plus tendre, habité par une folle humanité et par le désir inaccessible d’aimer encore dans une société suicidaire, ultra-libérale et individualiste. Sérotonine est follement houellebecquien. Le narrateur est un double de Houellebecq qu’on imagine avec sa tête de chien battu."

"L'amour impossible"

Astrid de Larminat analyse dans Le Figaro  le statut des femmes dans l'oeuvre de Houellebecq, souvent accusé de misogynie :

"Misogyne, Houellebecq? L'affaire est plus complexe. Pour le narrateur de Sérotonine, les femmes sont la clé de tout. Elles seules, par leur amour, auraient pu le sauver de l'atroce ennui de vivre. Mais lorsqu'une femme ne se montre pas à la hauteur de l'idéal qu'il en a, l'adoration chez lui se retourne en haine brutale et en blasphèmes. La femme est un ange, ou une bête."

"La misère des déclassés"

 

Le très à droite Geoffroy Lejeune rappelle dans Valeurs actuelles qu'on "devrait prendre un peu plus au sérieux les parutions de Michel Houellebecq" : "Le grand écrivain revient avec un roman sur la misère des déclassés. Féroce attaque contre la mondialisation, le libre-échange et l’union européenne, il percute une fois de plus l’actualité, en décrivant l’insurrection des gilets jaunes."


"La marche au nihilisme"

De l'autre côté du paysage politique, Jean-Claude Lebrun écrit dans L'Humanité  : "Nul mieux que [Houellebecq] ne capte les agitations de surface et les courants profonds de notre société. Sous une forme provocatrice, recyclant avec une délectation ironique les lieux communs de la xénophobie, de la misogynie, de l’homophobie et d’une beaufitude qui tient souvent lieu de pensée, jouant aussi de la pornographie comme autre marqueur du temps, il met ici en scène un narrateur qui, sauf l’âge, par bien des points lui ressemble. Florent-Claude Labrouste, 46 ans, ingénieur agro, expert ministériel, grand fumeur, gros compte en banque, porte sur les choses le regard morne d’un être désabusé."

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Commentaires: 1
  • #1

    Antoine (dimanche, 12 mai 2019 02:06)

    Je suis toujours aussi étonné qu’on puisse faire des analyses aussi poussées au sujet de la littérature. La lecture est avant tout un plaisir, qu’on ne peut éprouver qu’avec innocence : c’est à dire non pas faire preuve de naïveté, mais accepter d’aller à une découverte, nouvelle toujours (je suis non moins étonné du manque... d’étonnement cruel (cruel, le manque, non l’étonnement !) avec lequel vivent les contemporains, cultivés ou non, illustres inconnus ou médiatisés. Tout cela va de paire : leurs yeux on dirait des feux mal éteints, comme écrivait Apollinaire, que peuvent-ils donc voir ? Goûter ? En littérature ou ailleurs, élite ou bas d’échelle, ce n’est qu’amertume ou fanatisme, bêtise dans tous les cas.